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Photo du rédacteurJean-Marie Valentin

Et si l’Accord de Paris avait tout simplement réinventé les Corsaires 3.0 ?

Par Jean-Marie Valentin, Président de Legalcluster, Président de l’Association de la Filière des Services juridiques et du Droit



Voici un nouveau défi conceptuel et stratégique pour les directions juridiques et de la conformité.

Le 3 septembre dernier, deux ONG, Deutsche Umwelthilfe and Greenpeace ont mis en demeure Volkswagen, Mercedes-Benz, BMW et Wintershall Dea.

Elles exigent de leur part, sous peine de poursuites judiciaires, un engagement formel d’ici la fin du mois de septembre, à stopper la production de tout véhicule à combustion d’ici 2030, ainsi que l’exploration de gaz et de pétrole d’ici 2026.

Ils fondent leur action sur le récent succès de l’ONG Milieudefensie qui a obtenu d’une juridiction Hollandaise, en mai dernier, une mise en demeure de la société Shell de réduire de 45% son empreinte carbone d’ici 2030.


Un succès qui en appelle beaucoup d’autres puisque nous assistons, en réalité, à l’émergence d’une nouvelle industrie.

Si en la matière, il est difficile de distinguer les causes des conséquences, nous pouvons observer, deux phénomènes juridiques systémiques nouveaux qui se nourrissent mutuellement renforçant encore d’avantage l’irrésistibilité de l’injonction d’une croissance responsable.


La sustainabilité est devenue une classe d’actifs…

En exigeant des investisseurs et des acteurs économiques un rapportage toujours plus strict par application de standards impératifs, le législateur – au sens large - ne conduit pas seulement à réorienter les capitaux vers une économie plus responsable dans le sens du bien commun. Il conduit à la création d’une classe d’actif, à la financiarisation de concepts éthiques et corrélativement à leur privatisation.

La sustainabilité devient une hypothèse d’investissement sur lesquels chaque acteur financier peut parier et spéculer.

Dans un monde où la norme procède de plus en plus souvent de la transposition de standards préalablement convenus entre acteurs privés, il va devenir difficile de déterminer si la règle qui nous est opposée vise effectivement à sauver la planète, ou à maximiser les performances de certains paris financiers.

La question n’est pas ici d’en débattre ou de s’en inquiéter. La question est d’en être informé et de prendre sa place au cœur de la mêlée, pour participer à l’élaboration de la norme dans le sens qui nous semble le plus adapté.


…Et le contentieux aussi

Autre phénomène notable, le contentieux est devenu lui-même une classe d’actif par le développement de fonds d’investissement dont l’objet est de financer des procès dans l’espoir d’en retirer des gains substantiels. Cette financiarisation du procès, portée initialement par la volonté altruiste d’aider les actions de groupe face à des intérêts économiques puissants, devient une véritable industrie dont les fins se suffisent à elles-mêmes.

Le dernier rapport sur ce marché (Global Litigation funding Investment Market report - Research Nester Pvt. Ltd), est particulièrement édifiant. La taille de ce marché évalué en 2018 à 10,9 Milliards de Dollars et attendu à 22,4 Milliards en 2027.

Et savez-vous quel est le principal levier de cette croissance annoncée ? La systématisation attendue des procès des ONG à l’encontre des entreprises, sur le fondement des réglementations climats et vigilance.

En somme, des intérêts privés spéculent, en finançant les recours des ONG à l’encontre d’entreprises, sur le fondement de normes qu’ils inspirent eux-mêmes (tant au titre des finalités que des standards applicables), avec la bénédiction des Etats qui ont pris soin de les reconnaitre préalablement « d’utilité publique » ou comme « ayant un intérêt à agir ».

La manière dont se structure cette opportunité de marché, ne va pas faciliter la lecture des intentions véritables des ONG. Et d’aucun rappelleront à cet égard le proverbe « Who pays the piper calls the tune » - où il est fait mention d’argent, de pipeau et de petite musique - qui trouve ici un nouvel écho.


Vers une nouvelle « guerre de course » ?

Etrangement, le seul concept juridique approchant qui nous vienne en tête est la « guerre de course » et ses Corsaires. Ces derniers, acteurs privés, forts de leurs sponsors financiers et de leur lettre officielle de commission, faisaient profession d’attaquer tout navire commercial battant pavillon d’Etats ennemis, pour s’approprier leur cargaison. Cette activité parfaitement légale était encadrée par des réglementations internationales de sorte qu’une « course » pouvait être arbitrée. A ne pas confondre donc avec la piraterie.

Chacun appréciera selon sa sensibilité la portée de cette comparaison sans doute hasardeuse. Mais tout le monde s’accordera à reconnaitre qu’il s’agit bien là, à la fois d’une nouvelle industrie, d’un nouveau modèle économique et d’une nouvelle structure de risques, tous de nature juridique.

Il est fondamental que les directions juridiques se saisissent de ces enjeux et renforcent rapidement les flancs des navires dont ils assurent la sécurité !

Les mesures à mettre en œuvre ici, ne sont pas uniquement défensives puisque d’une part, c’est le non-respect supposé ou réel des réglementations qui expose leurs « flancs » à la critique, impliquant donc des transformations internes. Et d’autre part, parce que cette réglementation leur impose d’organiser, selon des modalités adaptées, des visites de leur navire, par les parties prenantes intéressées, ce qui implique la structuration de canaux de communication et de modèles de collaboration inédits. Subtil équilibre à trouver qui ne manquera pas d’être éclairé par les jurisprudences à venir.


Les amateurs d’Histoire, s’amuseront de savoir que la guerre de course a été abolie en 1856 par le « traité de Paris », signé par 52 Etats à l’exception notable des… Etats-Unis !

L’« accord de Paris », 160 ans plus tard, aurait-il créé de fait, la guerre de course 3.0 ? L’histoire nous le dira.


Cet article est un extrait du livre blanc "Les fonctions juridiques et de conformité, face aux défis des stratégies de croissance durable" à paraître bientôt. Pour le recevoir, inscrivez vous ici

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